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Encore Un Petit Mot
17 janvier 2014

Pour tout te dire, Dieudonné,

Pour tout te dire, Dieudonné,


Mon dieu, nous avons ris. Nous nous sommes esclaffés et nous avons manqué d’air du fait de ta drôlerie. Et si tu avais été à nos côtés, en ces moments là, nous t'aurions tapé dans le dos, manifestant ainsi notre fierté du génie français. Car tu étais notre héros à tous, notre héraut aussi. Tu savais distraire, tu savais jouer pour nous les refrains des après-midi d’été à l’ombre des cerisiers et les cascades folles dans les sous-bois de l’acide franchise. Nous t’écoutions et ne cessions de te couronner roi des humoristes. 

Certains d’engager les voix de la très grande majorité des français. Nous l'affirmons: tu trônais, tu jouais. Aisément, librement et les instants que nous passions à t’écouter semblaient promettre des lendemains de festivité. 

Chantre des pitreries en des temps de crise, tu régalais l’ouvrier, le commerçant et l’avocat à la fin de la journée. Le médecin et le chômeur se retrouvaient à l’aurore pour un sourire. A l’heure du débat de la légalisation des drogues douces, tu faisais figure de la plus tendre des médecines. Celle du rire et des larmes, des larmes de bonheur. Car, qui n’a pas pleuré en t’écoutant ?

Dans ta main, toutes ces richesses, dans ta main tous ces pouvoirs. La force populaire, le roulis de la foule et la ferveur de tous ces ignorés qui se massaient pour te voir avant de se couler dans les méandres des rues de Paris. 

Tu avais tout cela. Et bien plus encore. 

Aujourd’hui, image à jamais révolue, sortant de chez toi, tu croiserais tous ces sourires, tous ces regards de remerciement. Car la veille tu aurais éteins une dispute, tu aurais sauvé un couple de la brisure. D’un rien, d’une blague, d’un mot, qui rapproche les consciences, qui réchauffe les âmes et panse les amertumes que le quotidien s’acharne à vendre à chacun de nous. Tu traverserais les marchés et les jolies places de France sous les ovations et tu aurais été, un peu, un tout petit peu, mais déjà tellement, ce que tous appelons tous de nos vœux, notre messie.

Bien entendu, ce songe se perd déjà par delà les ombres qui se massent autour de toi, autour de ta parole, autour de tes gestes. Car un jour, un beau matin, piqué par on ne sait quoi, une folie, une fureur, une blessure à n’en pas douter, tu as succombé à ce terrible mal, tu as goûté du bout des lèvres ce poison aux allures salvatrices. Et quand on goûte, on aime. Faiblement, gratuitement, petitement. On commence par en prendre une cuillère puis deux. Et avant de comprendre comment, le chaudron dévoile son fond. 

Benoîtement, certainement, au départ. Sans même considérer cette piste qui s’ouvrait devant toi. Un sentier facile, en pente. Un escalier vers le bas-fond des idées. Où la brume malodorante et opaque masque les vérités et le sens des mots. Par la force des choses, tu t’es trouvé en terrain miné. Miné par les choix que l’on fait, que tu fais, chaque jour.

Et nous français, tes compatriotes, tes potes, nous t’observions, persuadés que c’était une blague. Que c’était forcément pour rire. Car tu faisais le beau métier d’humoriste. Car tu avais la charge de tant d’âmes. Car tu étais forcément conscient de ce que tu faisais. Nous n’en doutions pas. 

Et nous guettions ce moment. Celui où le clown surgit de la boite sur son ressort. Celui où tu devais crier « surprise, c’était pour rire les gars. Je reviens, j’arrive, le temps de tourner le dos à tout ça et je vous sers une blague. Une sur les belges. Elle est terrible, les gars. Asseyez-vous, vous allez vous écrouler. » Et nous attendons encore.

Car persuadés que tout n’est pas fini. Que tu peux renoncer à tout ce que ta bouche dit de monstrueux. Que tu peux faire une croix sur la noirceur dont s’habille ton âme ces derniers temps. Nous attendons mais nous doutons aussi. Car tu t’en vas sur des sentiers sur lesquels nous ne pouvons te suivre. Et plus tu marches, et plus on t’écoute discourir, moins les lendemains chantent notre amitié, Dieudonné. Tu dois bien t’apercevoir que nos sourires ne sont plus que rictus et que nos larmes ne coulent plus de l’attente de la joie que tu nous prodiguais.

Des mots et des gestes. Qui font mal. Qui font mal à notre France. Tu as trempé ta plume et acéré ta langue dans le vinaigre de l’antisémitisme. Le mot est lâché. Le voilà, terrible, froid, barbare, sanguinaire. Et dans nos consciences, à côté de lui, ton visage pourtant jovial. Comme un oxymore qui, de plus en plus, se transforme en évidence. Et il ne faut pas être juif pour en souffrir, ami. Il ne faut pas même être français. Il suffit d’être comme nous tous, des hommes et des femmes. Fragiles. Mais qui savent où le mal règne. Mais qui savent quelle porte ne pas entrouvrir. Et qui veillent à ce que demain, tes enfants, tes petites-filles et tes petits-fils ne souffrent pas de ce que tu tentes d’introduire dans notre beau pays. Le racisme. Car s’il est bien une vérité, c’est qu’on ne peut jamais prévoir le lendemain. 

Aujourd’hui tes mots, demain leurs actes. 

Et crois le bien. Ils ne sont pas si loin les matins où certains faisaient la queue, nus comme des vers. Plus frêles que des brebis devant la porte d’un endroit dont tu t’escrimes à moquer le souvenir. Apeurés dans l’antichambre de la mort et pétrifiés dans la chambre elle-même. Assassinés parce qu’un trublion parlait plus fort que les autres et joignait le geste à la parole. D'abord un salut puis un crime. Et ta quenelle sent le salut et appelle le crime.

Alors, en face de nos cris, en face des appels du pied de tes compatriotes, tu as évoqué l’absurde compétition des souffrances et tu n’as pas compris qu’en souillant la mémoire de morts qui ne t’étaient pas proches, tu crachais toujours plus sur ceux dont tu réclamais – et dont tu réclames encore – à grands cris qu’on se souvienne d’eux au même titre que l’on se rappelle des victimes de la Shoah. 

Et ce que l’on peut t’affirmer, Dieudonné, c’est la manière dont nous respectons, dont nous nous recueillons, dont nous nous prosternons devant toute forme de souffrance. Quelle qu’en soit la forme, la couleur ou l’origine. Et le jour où tu te décideras à rejoindre nos rangs, nous te ferons une petite place et te donnerons une grande accolade.

La larme d’un enfant, qu’il soit blanc ou noir, nous sera toujours intolérable. 

Saches que tu serres les mains, chaque jour, d’ignobles créatures qui violent à chaque seconde, par leur simple souffle, le sanctuaire des héros de notre temps, de notre histoire, de notre mémoire, ceux que nous chérissons, ceux que nous sanctifions, et cela chacun à notre manière. Sans que les pincements de nos cœurs fassent résonner plus doucement les blessures de nos frères.

A l’aube d’un désastre qui s’annonce, tu peux encore sauver ce qu’il y a à sauver. Dire un mot, faire un signe vers nous et nous oublierons. Car, certainement, depuis la nuit des temps, l’oubli est le propre de l’Homme.

C’est l’appel d’insignifiants, d’amis, de compatriotes, de frères, appelle-nous comme tu le souhaites. Toutefois, ne nous confonds pas avec les ennemis de tes fièvres délirantes.

Fais acte de conscience. Observe comme tu déchaînes les passions gratuitement, comme tu embrigades les faibles et les oubliés. Comme tu joues de leur fragilité, comme tu manipules leurs doutes. Et tout cela, aussi, dans une finalité vulgairement mercantile.

Au nom de l’humour, de la mémoire, de notre futur à tous, en ton nom Dieudonné. Reviens vers nous. Vers ceux qui ne souhaitent pas le déchaînement de la fureur et qui réprouvent les aboiements tout droit sortis d’un passé enterré mais non encore effacé. Nous les sentons tous, ces relents abjects. Ne te donne pas plus de torts que tu n’en as déjà. N’ajoute pas le rouge du sang à celui de la haine, sur tes mains, déjà coupables mais pas tout à fait perdues.

Nous te reverrons, ami, en des temps plus propices. Et tu amèneras le vin et nous amènerons le pain. Ou nous t’oublierons, à regret, évidemment. Nous t’oublierons car tu nous y auras forcé. Ne te punis pas du vide que, par la force des choses, tu crées autour de toi. Ne laisse pas ce souvenir de toi aux générations futures, d’un grand, d’un géant à l’humour acide, abattu par les rafales implacables d’un mal sans nom, dont tu t’es attifé, et qui aura causé ta perte.

 

                                                                                                                                Encore Un Petit Mot

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